20120906

Eloge de la Lenteur


 « N'ayez pas peur du bonheur : il n'existe pas. »

 Je suis lent. C'est un comble pour un homme qui vit à l'ère numérique, qui travaille dans une banque dans un service informatique, qui passe le plus clair de son temps en mouvement et qui est réputé être un impatient. 

Et pourtant j'aime la lenteur. Ou plutôt, j'aime prendre mon temps. Dire qu'il y a un temps pour tout est une bonne chose. C'est un bon point de départ. 

D'abord le rêve puis la sensation du rêve. La réalité ensuite. Le temps qui passe, lentement et seulement après l'action.

Voilà comment je décompose mes actions. Tout ce que je fais aujourd'hui n'est que l'aboutissement de ce que j'ai rêvé des jours, des semaines, des mois auparavant. Je suis le contraire d'un homme immédiat. Je suis une homme à retardement. Pas dans le sens ou je veux retenir le temps, m'attarder sur cette terre plus de temps qu'il me sera donné, mais simplement laisser passer le temps, lui céder la place, ne pas brûler les priorités. 

Une collègue me disait, l'autre jour, qu'une amie à elle avait proposé à son petit ami du moment de s'installer avec elle. L'ami en question avait répondu par "je vais me promener" et il est parti une heure avant de revenir lui donner sa réponse...ce qui a fait rire ma collègue. 

Je comprends la réaction du petit ami. Calmer le jeu, ralentir le temps, ne pas se précipiter.

J'applique la même méthode dans ma vie de tous les jours. Je travaille aujourd'hui sur des photos prisent il y a plusieurs mois et que j'ai promis d'envoyer à des amis. Qu'importe qu'ils les reçoivent demain ou dans dix mois pourvu qu'ils les reçoivent.

Un homme a confié récemment à ma mère des photos qu'il a pris de moi enfant il 35 ans !

Aujourd'hui, tout est dans l'instantanéité. Cette fuite en avant lorsqu'on y pense, nous rapproche encore plus rapidement du dernier moment. Il n'y a que les hommes occidentaux pour être bête à ce point, de se précipiter vers le point final.

La publicité nous pousse à consommer d'avantage. Elle nous convainc qu'il nous manquera toujours quelque chose pour faire notre bonheur. Elle n'a de cesse que de vous bombarder d'informations parfaitement inutiles qui vous pousse encore plus en avant.

La paradoxe du trop, je le compense avec le pas (le vide), le pas là (l'absence), le plus là (la fuite), le pas entendu (le sourd) , le pas encore (procrastination).

Parfois, cette attitude me fait louper des occasions comme cette lettre écrite à une admiratrice mais qui est arrivée trop tard : elle est morte. Il faut dire que j'ai mis 15 ans à écrire la lettre en question et la personne était déjà âgée.

C'est ce que dit Michel Houelbecq dans son texte La poésie du mouvement arrêté  :
 
"Chaque individu est cependant en mesure de produire en lui-même une sorte de révolution froide, en se plaçant pour un instant en dehors du flux informatif-publicitaire.


C'est très facile à faire ; il n'a même jamais été aussi simple qu'aujourd'hui de se placer, par rapport au monde, dans une position esthétique : il suffit de faire un pas de côté. Et ce pas lui-même, en dernière instance, est inutile. Il suffit de marquer un temps d'arrêt ; d'éteindre la radio, de débrancher la télévision ; de ne plus rien acheter, de ne plus rien désirer acheter. Il suffit de ne plus participer, de ne plus savoir ; de suspendre temporairement toute activité mentale. Il suffit, littéralement, de s'immobiliser pendant quelques
secondes."

Voilà qui est entendu.  Se déplacer de quelques mètres en dehors du flux. 

L'achat de mon Leica n'est pas innocent et même très calculé. En me décalant de quelques mètres, j'échappe à la course aux capteurs, au méga-pixel, à la bataille rangée Canon-Nikon....je reste calmement avec mes 3 images par seconde et ça me va très bien.

Courage fuyons ! Adage qui me correspond parfaitement car il en faut un peu du courage pour ne pas suivre le mouvement de masse. Bien plus facile de suivre que de s'écarter. 

 
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Le texte La poésie du mouvement arrêté fait partie d'un recueil de textes de Michel Houellebecq Resté Vivant  aux Editions La Différence en 1991.

Vous pouvez le télécharger içi

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