20210603

Madame rêve

Il y a dans les rêves ce semblant de réalité qui me déconcerte. Je ne sais plus au réveil ce qui tient du vrai ou du faux.

L'un me semble tellement réel (le rêve) et l'autre tellement faux (ma vie).

Ce matin encore j'ai rêvé d'une après-midi que je n'ai pas vécu.

Il y avait cette famille (pas la mienne), cet appartement (pas le miens), cette femme à côté de moi et cette conversation qui n'a jamais eue. 


J'étais là à parler religion avec un homme d'âge mûr, moi qui ne parle jamais de Dieu ou si peu...

Ce n'est pas le rêve qui me trouble, mais ce sentiment au réveil. Sentiment d'avoir réellement vécu cette scène.

Les spécialistes vous diront que j'ai dans ce rêve juxtaposé des événements d'un passé plus ou moins récents et que mon cerveau c'est amusé à les rejouer dans une seule et même séquence. 

D'accord mais dans quel but ? Et pourquoi cette mise en scène ? Pourquoi maintenant ?

"Que peut un corps ?" demande Étienne Klein dans son intervention sur France Culture. Beaucoup selon lui. Mais personne ne sait précisément jusqu'au peut aller un corps raconte Spinoza car personne ne sait exactement comment il fonctionne. 







20200203

Levée de corps


@jmf (photo prise le dimanche 26 janvier)


Hier, maman est morte. 

Ce matin ils sont venu la chercher. 

Ils sont trois. Ils font des têtes de circonstance, me disent des mots de circonstance.  

J'indique où repose maman, mais je ne veux pas les accompagner. 

C'est la première fois que j'assiste à une levée de corps. 

Je connais l'expression, mais je ne m'étais pas posé plus de questions que cela.

C'est souvent comme ça. 

Il faut que quelque chose vous touche de près pour que vous y prêtez toute votre attention, sinon ça vous passe par dessus : la calomnie, la pauvreté, la maladie...la mort.

Je reste assis à la table du salon. 

Je fais semblant d'être occupé,mais je ne perd rien de ce qui se passe à côté.

J'écoute.

J'entends, le murmure des employés des pompes funèbres, le lit qu'on déplace, le cadavre qu'on manipule doucement et qu'on repose dans un sac.  

Il y a le son de la fermeture-éclair qui coulisse et referme le sac de plastique noir. 

Ensuite. Ensuite, je sais ce qui va se passer si je ne fais rien. 

Je vais voir maman passer dans un sac noir et cette image ne me quittera plus jamais.


Alors j'ai tourné la tête. 

J'ai fixé un point au loin et j'ai fait le vide.

Pour un instant. 

Quand je suis revenu à moi, elle n'était plus là.

La vue du lit vide me remplis d'une tristesse sans fond.

Aujourd'hui, maman est partie.

20191003

Rorschach

                                Rorschach 2019



La pluie, le vent donne à l'endroit un aspect plus sinistre que dans ma mémoire. 

C'est à peine si reconnais le lieu : Rorschach. 

Tout est si changé.

Il m'a fallu 17 ans pour revenir içi. 

Rorschach. Une ville. Un symbole pour celui qui a perdu ses repères. 

Rorschach. L'horizon, son lac qui prend des allures de mer.  

Rorschach. Point de départ d'une escapade, d'une fuite à travers la suisse.

Rorschach. C'est une image. Un couple. Mon doigt qui fixe l'instant sur la pellicule. 

Le souvenir.

Le souvenir, puis la trace de ce souvenir.

Rorschach. Un mauvais souvenir, mais un souvenir quand même. 



Rorschach 2002








20181209

Le dernier stade de la soif


"Je voyais le monde avec une telle acuité que cela en devenait insoutenable, j'étais maladivement clairvoyant, avec des aperçus de l'univers dont je me détournais immédiatement."


Ce n'est pas la fin d'un bon livre qui me terrifie. C'est d'imaginer le vide qui va suivre.

Comment imaginer la suite du chef d'oeuvre de Frederick Exley? Qui pourra décrire mieux que lui la chute sans fin d'un homme qui dit de sa vie :

Je ne suis pas mêlé à tout cela, ma vie n'est que détachement, ironie et frivolité, ce qui n'est peut-être pas une posture particulièrement noble, mais elle a au moins le mérite de ne pas prétendre savoir ce qui est bien pour autrui ".

Quand je contemple le désert littéraire de la rentrée, je sais que je n'y trouverais pas mon compte. Pire. Comme le naufragé seul sur l'océan , je sais qu'il y a quelque part une esquif, une île pour me sauver, le drame est de ne pas pouvoir la localiser. 

Se réfugier dans le passé forcément. J'ai trouvé Bernanos et W.G. Sebald. Je crois que ça ira.




20161029

Rester vivant



Je suis cliniquement mort. Comme éteint. De l’intérieur. Ce feu qui brûlait, me consumait, me dévorait, est comme éteint. Vide. Ou vidé.

Enchaîné à mon taf, mes obligations, ma famille... toute la journée bip-bip-bip bla-bla-bla...

Le niveau zéro de l’existence. Zéro.

Et puis il y a eu cette parenthèse. Ce voyage. Une virée sur des routes qui n’en finissaient plus de ne pas finir. Ces longs détours, des kilomètres avalés par centaines dans une totale indifférence, du temps et de l’espace.

Un abandon presque total au Dieu de la route. Une soumission presque.

Il y a ce moment où vous quittez la route, et que vous prenez un chemin de travers bardé de sens interdit. 

Vous sentez le sang qui vous monte à la tête, qui gonfle vos veines et vous donne le vertige. 

Vous sentez qu’à cet instant précis vous n’existez plus vraiment. 

Ni pour vous ni pour personne.

L’excitation mêlée à la peur. La peur de l’orage qui s’annonce, être perdu dans un désert, peur d’avoir la confiance d’une fille de 12 ans assise à vos côtés et qui ne se doute de rien. Peur d’être livré à vous même.

Peur de ne pas trouver ce que vous cherchez.

Et tout d’un coup, c’était là. Devant moi. À portée de vue, de main.

Sombre. Inquiétant. Rassurant.

Une forme, un souvenir qui revient brutalement. Un rêves comme matérialisé.

Ma course soudaine , insensée. Traverser la rivière , l’eau glacée, escalader la dernière dune.

Je n’ai pas les mots pour décrire ce moment. Il y a la joie, le bonheur de l’enfance retrouvée, le sentiment de solitude et de la mélancolie. Le calme en moi. La sensation d'une liberté presque totale. 

D'avoir vécu cette existence dans le but unique d’être ici, vivant, vivant et conscient d’être celui-là et pas un autre. D’avoir choisi d’être là pour admirer ce spectacle qui me désole et me rassure.

D’être l'unique  spectateur de cette gueule béante aux ailes brisées. Masse sombre recrachée du ciel et qui m’attend patiemment depuis 50 ans.

Je crois qu’à ce moment je me suis senti vivant.

Vivant.

En regagnant la route nationale j’ai repris le cours ma vie. Je sais qu’il faudra tôt ou tard choisir : vivre ou continuer de faire semblant. 




https://www.thetravelpockets.com/new-blog/2016/4/how-to-get-to-solheimasandur-plane-crash-in-iceland

20161009

Sue perdue dans Manhattan

J'ai vu ce film en 1997 à sa sortie. Il m'a laissé un goût étrange dans la bouche, mélange de tristesse, de désir et de violence. Le film est simple mais magnifiquement joué par Anna Thomson. 

C'est évidemment le thème de la déchéance qui me met mal à l'aise. Le réalisateur Amos Kollek nous rappel assez brillamment que la chute est toujours possible, que ce qui nous empêche de nous avilir ne tiens pas à grand chose : un travail, un/e conjoint(e) , des amis peut-être , un logement surtout...et c'est d'en être privé qui causera sa perte.

Un film physiologique sur les rapports humains, sur cette incapacité que nous avons à comprendre les autres...de cette impossibilité à communiquer de façon intelligible nos sentiments , nos envies ...où nos peurs. 

Sue meurt de ne pas avoir su dire, ou de n'avoir pas été écoutée,entendue..

Amos Kollek joue très bien avec nos nerfs nous faisant miroiter l'espoir mais lui comme nous sait que les histoires que se terminent bien ça n'existe qu'au cinéma.











Un dernier pour la route...

Crédit Photo JMF


A partir de quand est-ce le dernier ? 

En toute logique le dernier verre vient à la fin. En réalité il vient à la suite d'une longue suite de "dernier verre". 

Il y a le premier verre , puis une suite de premier et enfin le dernier verre.

Entre le début et la fin, rien qu'une suite, qu'une fuite en avant. 

Le dernier verre n'existe pas vraiment. On l'imagine vaguement, au loin, hors d'atteinte. 

C'est comme une promesse. Une promesse remise au lendemain. Une fausse promesse. 

Un verre plus un verre. Il y dans cet enchaînement de la musique, un rythme qu'il ne faudrait pas casser sous peine de voir surgir le spectre du dernier verre. Celui qui annonce la fin. 

Repousser l'échéance tel est l'enjeu. 

Aligner les verres c'est comme une discipline, un sport. Un sport qui a ses règles, son protocol auquel il faut se soumettre sinon pas de victoire possible. 

Car il s'agit bien de vaincre. De battre l'adversaire, de vaincre sa résistance. Toute résistance. Détruire sa conscience, l'intuition, l'intelligence. 

Détruire. Se détruire. Lentement. Verre après verre.

Il faut repousser le dernier verre jusqu'à la limite sans jamais la dépasser. 

La dépasser c'est sortir du jeu. C'est le hors jeu.

Le dernier verre c'est la recherche de la limite au delà duquel rien n'est plus possible.

C'est une fuite qui doit s'arrêter nette. Qui s'arrête. Avant. Juste avant le dernier verre.

Ce sport à des héros. Ces cadavres. Comme Bukowksi. Charles Bukowski.

Il a même écrit un poème la dessus (poème). 

Je n'en suis pas encore là. J'en suis assez loin même...je manque d'entrainement...mais je ne désespère pas.