20120212

A Chacun sa Madeleine

Ma madeleine a une forme d'escargot. C'est un beignet qui a le goût de mon enfance. Chaque fois que je reviens à Versoix et que le temps s'y prête, je m'arrête dans la boulangerie qui fabrique cette pâtisserie dont je raffole.


Le décor a changé, la vendeuse aussi mais de toute façon, l'ancienne—celle qui m'a connu petit—ne me reconnaissait plus depuis longtemps. Puis, elle est morte et elle a été remplacé par Fatima.


Fatima aime les enfants. Elle leur donne toujours quelque chose en plus.


Ah ce goût. C'est le même depuis 35 ans. Ce week-end m'a transporté dans le passé : la visite chez ma mère, la ballade sur les quais, ma madeleine, la fête foraine, le tir à la carabine et les crêpes au sucre.... Nostalgie quand tu nous tiens.


Finalement, je suis arrivé jusqu'ici et c'est pas si mal. Tâchons de bien nous tenir encore quelques années, et le tour sera joué.


Je me demande, en regardant mes enfants, quel sera leur madeleine à eux ?

20120207

Béla Tarr

Béla Tarr n'est pas en avance sur son temps. Il n'est pas un précurseur. Voir un de ses films, ce n'est pas voir l'avenir du cinéma: c'est voir le cinéma passé-présent-futur.

Le Cheval de Turin, c'est Welles+Ozu+Dreyer+ Tarkovski+Renoir+Eisenstein à la fois. 


Comment dire ce cinéma qui n'existe pas. Qui n'existe plus. Avec quel mots puis-je décrire ce qui en réalité n'existe pas? Le cinéma de Béla Tarr est condamné à mort et il le dit lui même: "Ce film est le dernier qu'il réalisera parce le public ne veut plus de ce cinéma-là, et que le processus de production devient de plus en plus difficile en Hongrie"


Adieu veaux, vaches, cochons, couvée...


Le cinéma de Béla Tarr est intransigeant: il n'épargne rien ni personne. Un plan qui doit durer cinq minutes durera cinq minutes. Pas de raccourci ni de plan facile: il faut ce qu'il faut.


Je ressors de cette séance bouleversé. C'est une histoire de la condition humaine. Après avoir vu ce film, se nourrir devient un problème.


Dieu soit loué, je me suis forcé à sortir hier soir. Un bon film, c'est toujours ça de prix sur l'ennemi.


Certains crient au génie (d'autres cryogénie), et moi je crie victoire. 


Victoire du grand sur le petit, du beau sur le laid, du signifié sur l'insignifiant.


Tom Cruise contre Belà Tarr: il n'y a pas photo. 


Je vais laisser passer quelques jours avant de replonger dans une salle obscure. L'ami Béla m'a plongé dans le vide où il fait bon vivre.



20120205

Helmut Newton

De seins, de la baise et de photographie. —Voilà de quoi il est question dans la biographie de Helmut Newton que je viens de terminer.

Il semble avoir usé la corde par les deux bouts le bonhomme. Enfance heureuse semble-t-il passé entre les jupons de sa mère et des prostituées de Berlin. Fuyant la guerre et le "rêve" Nazi, il a débarqué à Singapour seul et mené une vie de "rêve" : Gigolo pour femme blanche, élégante et très seule.

 De photo? Il en est question mais pas beaucoup. C'était plus chambre rouge que chambre noire d'après ce que nous dit Helmut. Puis, il y a la période Australienne : l'internement dans un camp, l'armée (il ne dit pas grand chose là-dessus), la libération et des femmes, beaucoup de femmes.

D'ailleurs, j'ai dû reposer et retourner le livre à plusieurs reprises pour voir ce que je lisais au faite. Car de sexe, il en est beaucoup question dans la 1ère partie du livre mais de photographie pas beaucoup.

Avec sa femme June, ils partent en Angleterre. Période difficile. Mais qui me rapproche un peu du personnage. Il donne quelques indices. Nous avons au moins un point commun lui et moi : son aversion pour l'Angleterre dont il n'aime ni la langue (il parle très bien l'anglais mais il a de la difficulté avec leur accent), ni les habitudes. Côté sexe, il le ressent aussi...les petites annonces passées par les prostituées : Education stricte, à l'Anglaise, à coup de trique et de cravache...tout un programme.

Ah, ces anglais: trop coincés pour être honnêtes.

Un autre truc qui m'amuse. Il dit se perdre à Londres où dans les villes qu'il n'aime pas et se comparer à un chauffeur de taxi dans celle qu'il aime. Idem pour moi. Londres ? Je tourne au coin d'une rue et je suis perdu. Mettez moi à Paris, à New-York, j'y retrouverais une aiguille dans le corsage d'une femme.

C'est à Paris qu'il va enfin trouver ce qu'il a cherché pendant des années: la gloire, la liberté, et des gens qui apprécient son art.

C'est la période Vogue. Les années 60,70.

Il est plus question de photo dans cette partie. Sa femme y est peut-être pour quelque chose.

Année 80,90.

Il a une manière particulière de photographier les femmes. Je trouve le traitement très difficile: un peu "femme objet". Il y a quelque chose d'un peu militaire la derrière: l'uniforme...les femmes ont l'air toujours très soumises chez Newton.

Et puis, il a des fréquentations bizarres : Kurt Waldeim, Le Pen ??? Bref, il doit avoir le sens de la provoc'.

Sur la fin, il devait devenir pénible. Incapable de se débrouiller , narcissique et égoiste au plus haut point, il devait être épouvantable !

Drôle de zozo cet Helmut mais bon photographe. —On ne peut pas le lui enlever. J'en sais un peu plus sur sa—drôle—de vie. A la prochaine expo, je regarderai ses photos d'un autre oeil.

20120204

Jean-Louis et William avaient Raison

"Je tiens ce monde pour ce qu’il est : un théâtre où chacun doit jouer son rôle"  quand Chabran disait que tout était dans Shakespeare, il avait raison. Tout le monde est dans le théâtre de Shakespeare.

Même si je ne suis pas un grand spécialiste du genre, je pense que c'est vrai : jalousie, trahison, infidélité, mensonge, vengeance, cupidité...que des vertus humaines quoi.

Pas lu grand chose de lui: Othello et Le Roi Lear. Vu quelques films tirés de ses pièces: Roméo et Juliette, Prospero, Le Marchand de Venise. Beaucoup de bruit pour rien: Songe d'une Nuit d'Eté, la Tempête, etc.

Mais, c'est en regardant les gens vivres que je comprends encore mieux son théâtre. J'écoute une émission sur France Culture sur lui justement. Des pièces comiques, dramatiques. Quelle justesse.

Le bureau, la vie de famille, les intrigues amoureuses tout y est. Le chef/prince qui veux prendre la place du big boss/roi. La conspiration de celui qui a été écarté du poste/trône. La vengeance de la maitresse éconduite. —Tout est dans Shakespeare.

La vie de bureau est une pièce de théâtre. Jean-Louis avait vu juste. J'aimerais bien voir ce que ça donne en Afrique. Quel ironie. Lui, le blanc, en Afrique par 30°, et moi, le noir, en Suisse par -20°.

Lui cerclé de femmes qui ont ce teint de liane, et moi entouré de femmes aux yeux rouges et le teint pâle, bardées de téléphones mobiles mais sourdes d'oreille.

Le bureau est un théâtre, et j'y joue mon rôle. Correctement, comme j'ai appris. Je viens de m'acheter de nouveaux costumes d'apparat. Lundi, je défilerai dans ma nouvelle étoffe fier comme un paon, bombant le torse et roulant des mécaniques. Quelle comédie.

Jeune premier. Vieux dernier. Vingt-cinque ans que sa dure...

La semaine prochaine, nous jouerons un nouveau spectacle. La semestriel se joue à guichet fermé. Nous serons mille au moins. Entassés comme des dindons, nous écouterons sans sourciller la voix du maître. Une invitation à méditer sur Shakespeare...


Eloge du Désastre

J'aime cette image de celui qui tombe et qui dit: "jusque içi tout va bien". 


Les heures, les minutes qui précèdent le drame ont ceci d'unique que rien ne les distingue des autres, les minutes calmes des heures paisibles. 




Les désastres sont toujours imminents. Vraiment? N'aurions-nous donc aucune faculté de prévoir, de pressentir ce qui va arriver? J'en doute. Je crois plutôt que nous restons sourds aux voix qui nous ordonnent de nous échapper, nous enjoignent de nous éloigner à grands pas, mais nous n'en faisons rien. Nous persistons et signons là, parfois, notre arrêt de mort où de vie selon le point de vue.


Combien de messages n'aurais-je pas reçu? Toujours les mêmes rengaines, les mêmes litanies, je macère dans le même liquide saumâtre. Des cliquetis, des sonneries. Des bruits sourds. Je me réveille au milieu de la nuit. J'entends des bruits. Des messages codés que je ne comprends pas.


De quel drame s'agit-il ? Et qui m'envoi des messages ? 


Encore un pas de côté. C'est par ces injonctions que les photographes ordonnent à leurs modèles de se déplacer. Encore un pas. Mais qui m'ordonne de faire ce pas en avant ? Le gouffre est là, devant mes pieds. 


Je délire trop. Pas moyen de me reposer. Je fatigue vraiment. Mon corps me trahit. Je vieillis bien plus vite que prévu. Ma cheville, ma hanche, mes yeux tous mes organes donnent des signes de mort. Le drame serait-il proche? La fin tant attendue serait-elle au coin de la rue?


Encore des clics clics clics: des bruits. Trop de bruits et d'idées. J'envisage tout et n'importe quoi. Une vie rêvée si originale. Une vie réelle si banale. Mon Dieu quelle horreur.


J'imagine le pire pour constater que tout va bien. L'éloge du drame, c'est un peu mon échappatoire. Mon échappée belle. 


Tendance à dramatiser? Sans doute mais cela m'apaise. 


Je me détends enfin. La crise est passée.