20111008

Un Etre qui s'habitue à Tout

Je l'ai reconnu au premier coup d'oeil. Elle avait déboulé sur le boulevard passant à ma hauteur sans même m'apercevoir. Chevelure courte, lunette de soleil et chemise blanche c'est tout ce qu'il m'a été permis de voir à travers la vitre. Je savais qu'elle était revenue dans ma ville. Des amis m'avaient prévenu. Je n'avais aucune envie de la revoir. Le souvenir de notre rupture était encore trop vif: cinq ans déjà.

De loin, que je m'en souvienne, cette fille m'avais toujours semblé pressée. Toujours en mouvement: allant du point A au point B. Chez elle: point de repos. Je l'avais rencontré chez une amie commune. Une soirée où l'on s'ennuie ferme et d'où l'on se promet de partir tôt. J'avais plus ou moins préparé les excuses que j'allais formuler pour partir discrètement sur le coup des 21h. Mais elle est arrivée. Elle s'était engouffrée dans l'appartement comme d'autres se ruent sur les étales pendant les soldes. Elle a expédié les formules de politesse et a passé l'assistance en revue. Ses yeux sont tombés sur moi. Elle s'est avancée. J'aurais voulu m'écarter, reculer faire au moins un geste de défense, mais rien ne s'est produit. J'étais subjugué par cette femme qui savait déjà que je lui appartenais et qui semblait s'amuser de me voir pétrifié, vissé sur place. "Qu'est-ce que vous m'offrez ?", lâcha-t-elle. J'ai marmonné quelque chose. Je suis allé au bar et j'ai senti la brûlure de son regard dans mon dos. Je suis revenu avec deux verres de vin. Elle a bu son verre d'un trait, puis, elle a pris le verre de mes mains et y a trempé ses lèvres. Elle m'a dit: "maintenant je sais à quoi vous pensez, allons nous-en". Nous sommes sortis de l'appartement et avons grimpé dans sa voiture qui était garée juste en face. En chemin, elle n'a pas murmuré une seule parole.

Nous sommes allés chez elle. Elle s'est déshabillée. Je n'en revenais pas que cette beauté entre aperçue, moins d'une heure avant dans une soirée qui battait de l'aile, se déshabillait devant moi et m'invitait d'une manière directe et brutale à la rejoindre dans son lit.

De cette nuit, je ne garde aucun souvenir. Ni de celle-ci ni des autres. Nous avons passé quelques mois ensemble. —Dix mois tout au plus.

Je passais la nuit chez elle, mais elle ne voulait pas que je reste dormir "la nuit m'appartient", me disait-elle". Chaque nuit m'ôtait le peu de repos dont j'aurais eu tant besoin à l'époque. Cette femme se donnait complètement et ne laissait rien d'entier sur son passage.

Elle me dévorait à petit feu. Elle m'a sucé jusqu'au sang puis m'a recraché comme un vulgaire bonbon qu'on ne veut plus parce que son goût a passé.

Notre relation s'arrêta comme elle avait commencé : sans explication.

Elle m'a simplement dit qu'elle n'avait plus envie de me revoir. Restons-en là.

J'en fis une dépression. N'importe qu'elle autre que moi se serait flingué—Moi pas. Je sors sans elle, mais le coeur n'y est pas. Je fais semblant.

Je suis arrivé au feu rouge et me suis arrêté à sa hauteur. Elle a légèrement tourné la tête.
Je crois qu'elle a souri, du moins, c'est ce que j'aimerais croire. Puis, elle a démarré en trombe. J'ai regardé longtemps les feux de la voiture s'évanouir dans la nuit rêvant même, un instant, qu'elle fasse demi-tour.

JMF


Un être qui s'habitue à tout, voilà, la meilleure définition qu'on puisse donner de l'homme.
  [Fiodor Dostoïevski]

2 commentaires:

hihi a dit…

Maman m'aime puisqu'elle joue avec moi.
Maman et très méchante, elle ne veut plus jamais jouer avec moi.
Il n'y à pas de relation sexuelle...
(Lacan)

hihi a dit…

Lacan est connu pour ses petits phrases surprenantes: la femme n'existe pas,
l'amour c'est donner ce qu'on a pas à quelqu'n qui n'en veut pas, et, il n'y a pas de rapport sexuel. ... Une relation sexuelle ne nous assure pas qu'il y ait rapport effectif à l'autre.
Pour le psychanalyste Jacques Lacan, nous sommes toujours seuls dans la jouissance.