20120709

La Vie devant Soi






Je ne suis par sûr d'avoir lu ce livre comme je ne suis pas certain d'avoir vécu cette vie. Ou comment se fait-il que j'ai pu vivre cette vie et passer à côté de ce roman? C'est un hasard, je sais. Ou plutôt, non ce n'est pas un hasard. Il aura fallu que j'entre précisément dans cette pièce que j'aille voir par cette fenêtre, regarder ce rayon dans cette bibliothèque pour voir ce livre. 

Emil Ajar alias Romain Gary (ou l'inverse). Celui qui ponctua sa vie par un suicide. Pas parce qu'il n'en pouvait plus mais parce qu'il n'y avait plus rien à voir. J'ai lu ce roman. Non, j'ai dévoré ce roman. J'ai ri et pleuré à la fois. C'est un roman-coup-de-poing comme les films-coup-de-poing qui vous soulèvent et vous laissent tomber comme des vieilles chaussettes, vous laissent retourner à vos vies médiocres, vos vies de bas étages , de quartier mal famé, de femmes mal aimées. 

Je sais qu'après ce livre, il sera difficile de lire autre chose. Comme après Conrad, il est difficile de lire autre chose ou alors Balzac, Flaubert...oui, Flaubert mais là je n'ai rien à me mettre sous la dent. 

La grand littérature nous permet de nous sortir de nos petites vies. C'est la porte, la grande ouverture sur le monde. Le monde est vaste et je le contemple par la fenêtre de mon bureau*. Petit employé modèle j'esquisse courbettes et fausses révérences. Je vaque à la cour du roi Soleil et comme n'importe quel laquais, je claque des talons au moindre bruit de bottes. Que suis-je devenu au fil des ans si ce n'est un fonctionnaire-informaticien? Bureaucrate servile lié au pouvoir qui envoûte et rend fou. Je ne serais jamais qu'un mauvais soldat aux ordres d'un pouvoir encore plus fou.

Loin des idées révolutionnaires qui m'animaient dans les années nonante,  je suis devenu comme tous les conformistes: un lâche. J'ai abdiqué au seuil de ma bonté le peu de volonté qui me restait. Loin des coups d'états dont je rêvais naguère, je me contente de brefs coups d'éclats ou rien ne brille, rien ne luit. Il ne me reste que le souvenir des ces heures de gloires. Ces heures passées en dehors du cercle, du temps qui corrompt tout.

Me voilà père et mauvais amant. Je manque de courage, de pugnacité. J'en veux au monde et le monde m'ignore. Le monde m'en veut et je l'ignore.

Je me suis retrouvé dans la vie devant soit. Momo l'enfant abandonné, le fils de pute qui devient roi. La revanche a sonné.

Mais quel heure est-il ? 

Il est minuit Docteur Schweitzer.

Ce roman m'aura procuré plus de plaisir que douze orgasmes. Rien de comparable depuis Marguerite Duras. 

Marguerite et Emile m'irait bien comme épitaphe.





    



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