20110513

Taxi Driver

Un chauffeur de taxi n'est pas un conducteur comme un autre :il a un point de vue sur tout (et surtout un point de vue). Il vous parle souvent du temps qu'il fait dehors, de la hausse des prix de l'essence, et dans certains cas, il va jusqu'à faire de la philosophie. 


J'ai vécu de très bon moments dans des taxis—tous très différents les uns des autres. Certains m'ont fait peur: comme ce chauffeur qui m'a amené, un soir, chez des amis dans le East Side. Je transportais, pour je ne sais quelle raison, un gros sac qu'il avait pris soin de placer dans le coffre du véhicule. 


Nous n'avions pas échangé beaucoup de mots durant le trajet—seulement des regards. Je me souviens qu'il tenait absolument à savoir d'où je venais. Lorsqu'après avoir réglé la course, je suis allé récupérer mon bagage, j'ai aperçu entre la roue de secours et des affaires éparpillées, dans le fond du coffre, un bras. Un bras nu de femme. J'ai regardé le chauffeur, il m'a regardé puis, il m'a tendu le sac et refermé le coffre. Je n'ai jamais rien su ni compris ce que j'avais vu. Un mannequin? Sans doute. Je l'espère. C'est seulement le regard perçant du chauffeur dont je me souviens bien. Un regard particulièrement inquiétant.

Une autre nuit, à Istanbul, un chauffeur de taxi comprenant que ma jeune fiancée et moi parlions français à cru bon de nous faire une visite éclaire d'Istanbul tout en écoutant Claude François à fond les manettes. Lorsque je dis “éclaire”, je veux parler de faire du 120km sur le périphérique d'Istanbul avec Claude qui vous hurle dans les oreilles "Alexandrie, Alexandra". Expérience unique et mémorable. Drôle et sympathique à la fois mais un brin stressante.

La conversation la plus insolite, avec un chauffeur de taxi, restera probablement celle avec un chauffeur russe qui m'amenait à JFK. Je ne sais plus au détour de quelle phrase, il me lâche qu'il était un ancien pilote militaire. Je me souviens bien de cette conversation étrange mêlée de détails techniques et d'anecdotes sur l'aviation russe, son vieillissement et les quelques problèmes qu'il avait eu lui même. Garçon brillant et plein d'esprit.

Je pourrais vous parler de ce chauffeur qui a failli nous tuer en plein Manhattan lorsque son taxi perdit une roue et que nous avons terminé notre course (du moins la mienne) dans une borne de signalisation. Ce n'est pas tous les jours que la roue de votre véhicule vous dépasse.

Mais de tous ces trajets, c'est celui d'hier soir qui restera longtemps dans ma mémoire. Ali chauffeur tunisien m'a pris à la banque. Chauffeur volubile et volontiers moqueur. Nous avons rapidement convenu d'un mode de conversation: il parlait, j'écoutais. J'ai souvent remarqué que la philosophie des chauffeurs de taxi s'essoufflait vite. Ils ne font, d'habitude, que répéter—le soir—ce qu'ils ont lu dans la presse people le jour, mais là, je sentais autre chose. Ses remarques (toujours pertinentes), ses aphorismes (toujours à propos) m'ont tout de suite touché. J'avais, comme chauffeur, un vrai philosophe. Longtemps après avoir coupé le contact et réglé ma course, nous avons échangé autour des thèmes de l'altérité, de l'intégrité et de la fragilité.

Je ne sais plus lequel de mes amis disait que les inconscients communiquaient (bien avant que les individus n'échangent le premier mot), et bien, j'en ai fait l'expérience hier. 

Cet homme lisait en moi comme dans un livre ouvert, à moins que se soit moi qui extériorise mes sentiments à l'extrême! Qu'importe...Ali restera une belle rencontre.

Comme Prince dans Lady Cab Driver, De Niro dans Taxi Driver ou Isaac de Bangole dans Une Nuit sur Terre, je crois que les chauffeurs de taxi sont des êtres particuliers.


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